[ENTRETIEN] Souad Houssein : Architecte discrète d’un cinéma africain en pleine renaissance
- OPAC

- 7 juil.
- 16 min de lecture

Depuis près de trois décennies, Souad Houssein trace un sillon singulier dans le paysage cinématographique francophone. Originaire de Djibouti, établie à Paris, cette figure discrète mais incontournable de la diplomatie culturelle a su conjuguer engagement, vision et persévérance pour faire rayonner les voix du Sud sur la scène internationale. Elle a œuvré sans relâche à la structuration et à la professionnalisation du cinéma africain, dans l’ombre des projecteurs, mais au cœur de l’action.
À travers cet entretien exclusif accordé à Cinéma Sénégalais Sikanam, Souad Houssein revient sur son parcours, ses combats et sa foi inébranlable en un cinéma africain fort, pluriel et audacieux.
I. Les débuts d’une vocation cinématographique
Ousmane Aby COLY (Journaliste) : Bonjour Souad, Merci de nous accorder cet entretien. Vous êtes une figure emblématique du cinéma africain, avec un parcours riche et inspirant. Nous sommes ravis d'en savoir plus sur votre parcours, vos projets et votre vision du monde artistique.
Madame Houssein, vous avez rejoint l’OIF en 1999. Qu’est-ce qui vous a menée vers cette vocation, à la croisée de la diplomatie culturelle et du cinéma ?
Souad Houssein : À dire vrai, c’est le hasard – ou plus exactement la chance – qui m’a menée là. À la suite d’une réforme organisationnelle de l’OIF, j’ai eu l’opportunité d’intégrer la Direction chargée de la culture, où j’ai pu postuler au poste de responsable du Fonds francophone de production audiovisuelle, aujourd’hui connu sous le nom de Fonds Image de la Francophonie.
Il faut dire aussi que le cinéma faisait partie de mon ADN. J’ai grandi aux côtés d’un frère aîné (paix à son âme), passionné de cinéma, qui a par la suite travaillé à la Radio-Télévision de Djibouti (RTD), où il a réalisé plusieurs films et documentaires. C’est grâce à son influence – et aux films qu’il analysait avec passion devant moi, chaque dimanche à la télévision – que je me suis peu à peu constituée une véritable culture cinématographique, si je peux me permettre ce terme.
Dans le cadre de mes fonctions, et pendant de nombreuses années, je me suis occupée de l’organisation des commissions de sélection du Fonds d’aide à la production : étude des dossiers de demande, rédaction des rapports de réunion, suivi des décisions et des conventions de financement. Un travail à la fois exigeant et extrêmement formateur.
Cette responsabilité, aussi structurante que stimulante, m’a permis de développer un sens aigu de l’organisation et de l’anticipation.
Ousmane Aby COLY (Journaliste) : Quels ont été vos premiers chocs esthétiques ou engagements personnels en lien avec le cinéma africain ?
Souad Houssein : J’ai découvert le cinéma africain bien avant de m’en occuper au sein de l’OIF. Mon premier choc cinématographique fut provoqué par La Noire de... d’Ousmane Sembène, que j’ai vu lors du tout premier Festival du cinéma africain organisé à Djibouti, en 1986.
Par la suite, de nombreux autres films sont venus m’émerveiller : La Petite Vendeuse de Soleil de Djibril Diop Mambéty, Le Ballon d’or de Cheick Doucouré, Le Damier de Balufu Bakupa-Kanyinda, L’Afrance d’Alain Gomis ou encore Questions à la terre natale de Samba Félix Ndiaye. Je pense aussi à Daratt de Mahamat-Saleh Haroun, La Vie est belle de Mwezé Ngangura, ou à l’incontournable Hyènes de Djibril Diop Mambéty.
Ce ne sont là que quelques exemples parmi tant d’autres. Le cinéma africain regorge de chefs-d’œuvre qui continuent, encore aujourd’hui, à me bouleverser et à m’inspirer.
II. Construire, patiemment, des institutions durables
Ousmane Aby COLY (Journaliste) : À la tête du Fonds francophone de production audiovisuelle du Sud, vous avez façonné une politique globale de soutien. Quelle a été votre priorité stratégique au départ ?
Souad Houssein : Dans une organisation internationale, les décisions ne se prennent pas de manière isolée ; il s'agit plutôt d'adapter la politique générale à son propre domaine. Cependant, je dois admettre que l'on nous donnait beaucoup de responsabilités. C'était un style de gestion qui me convenait bien. Dès que j'ai été chargée de la gestion d'un Fonds d'aide à la production, j'ai pris ce rôle à cœur en essayant de me mettre à la place des professionnels, me posant la question : « Si j'étais cinéaste, qu'attendrais-je d'un dispositif international ? »
Consciente des difficultés rencontrées par les professionnels, surtout à l'époque, j'ai bien sûr cherché à respecter les attentes de transparence, d'équité, de rigueur pour sécuriser l'investissement de l'OIF. Cependant, j'ai également pris en compte l'importance du conseil, de l'accompagnement et de la flexibilité administrative, qui à mon sens, devaient guider un tel travail afin que la rigueur ne bride pas la créativité et que le Fonds reste un outil flexible et accessible pour les professionnels.
Ousmane Aby COLY (Journaliste) : Quels obstacles avez-vous dû affronter dans la structuration d’un système pérenne d’accompagnement ?
Souad Houssein : Certains obstacles étaient d’ordre institutionnel, notamment liés à la rigidité bureaucratique et aux contraintes financières, qui ne permettaient pas d’adapter rapidement les outils et les règlements. D’autres tenaient à la réputation du Fonds à l’époque. En effet, peu de professionnels faisaient confiance à ce mécanisme, et sa reprise par une femme originaire du « Sud » ne les rassurait pas davantage.
J’ai donc axé mes efforts sur la rigueur, la transparence et le respect des délais, bien que cela n’ait jamais été simple. J’ai moi-même souffert de malentendus et d’accusations de la part de certains professionnels, qui pensaient que j’avais la haute main sur l’octroi des financements. Ils ne comprenaient pas que la Commission de sélection était souveraine et me reprochaient d’influencer ses décisions.
J’ai tenu, jusqu’à la fin de ma mission, à ce que les aides ne dépendent pas de l’administration interne, mais résultent exclusivement des analyses et délibérations des membres des Commissions. Il a fallu des années pour que les professionnels reconnaissent l’effectivité de cette indépendance. Ce travail de fond a d’ailleurs été salué par le Secrétaire général de l’OIF, le Président Abdou Diouf, qui m’a un jour confié : « Vous gérez le Fonds avec une main de fer dans un gant de velours. » Ce jour-là, j’ai enfin pu souffler.
Ousmane Aby COLY (Journaliste) : Quel projet ou film soutenu par ce Fonds vous a particulièrement marquée ou émue ?
Souad Houssein : J’ai été profondément émue par le film Il va pleuvoir sur Conakry de Cheick Fantamady Camara, un cinéaste qui s’est battu corps et âme pour mener à bien son œuvre, au point d’en perdre la vie (que son âme repose en paix). Il me confiait combien il vivait dans une angoisse constante, hanté par la peur de ne pas pouvoir achever son film. Penser à lui aujourd’hui m’emplie d’une grande tristesse.
L’accompagnement d’autres cinéastes aux parcours tout aussi éprouvants m’a permis de prendre pleinement conscience des difficultés auxquelles sont confrontés les réalisateurs africains. Cela m’a aussi fait mesurer l’importance de ce Fonds, ainsi que le rôle crucial qu’il a pu jouer pour les 37 pays qu’il était censé couvrir, malgré un budget extrêmement limité, source de nombreuses frustrations.
III. Une vision panafricaine, une ambition collective
Ousmane Aby COLY (Journaliste) : En 2010, vous initiez avec la FEPACI un fonds panafricain. Quelle nécessité urgente vous a poussée à franchir ce cap ?
Souad Houssein : L’idée de lancer un Fonds panafricain dédié au cinéma et à l’audiovisuel (FPCA) répondait à la nécessité de pallier la fragilité économique persistante du secteur cinématographique africain. À l’époque, les professionnels dénonçaient l’érosion des financements globaux et le retrait progressif de certains acteurs institutionnels. C’est cette période d’incertitude, lourde de flottements, qui a pesé sur ma conscience et m’a poussée à proposer une alternative.
En me tournant vers un projet à vocation panafricaine, j’ai réalisé qu’il s’inscrivait dans une continuité historique. La vie des idées et des initiatives se résume bien souvent à savoir prendre un train en marche ! En effet, le FPCA reprenait une ambition formulée dès 1969, année où la première recommandation en faveur de la création d’un fonds panafricain pour le cinéma fut adoptée par l’Organisation de l’unité africaine (OUA), lors du Festival panafricain des arts d’Alger.
Il s’inscrivait ainsi dans les idéaux portés par les pères fondateurs du panafricanisme cinématographique, en résonance avec les grands rendez-vous du cinéma africain tels que les Journées cinématographiques de Carthage (JCC), le FESPACO au Burkina Faso et les revendications portées par la Fédération panafricaine des cinéastes (FEPACI).
Concrètement, ce projet visait à mettre en place un instrument pérenne, fiable et autonome, sous la forme d’une fondation pouvant recevoir des financements aussi bien publics que privés. Fondé sur une logique de coopération Sud-Sud, mais également Nord-Sud, le Fonds ambitionnait de soutenir à la fois la production de films et la mise en place de structures nationales complémentaires.
Son objectif principal était de favoriser l’émergence de films et de séries panafricaines répondant aux critères de qualité artistique internationale, en apportant une contribution financière significative aux projets retenus, leur offrant ainsi une réelle chance d’être distribués tant sur les marchés nationaux qu’internationaux.
Cette entreprise était ambitieuse, peut-être même prématurée pour son époque. Elle visait, in fine, à contribuer à la renaissance culturelle du continent, en permettant aux Africains de se réapproprier leur histoire et leur littérature à travers l’image. Pourtant, le projet du FPCA échoua dès sa genèse, malgré sa pertinence. Très rapidement, une opposition structurée émergea pour en freiner l’avancement. L’une des rumeurs les plus persistantes affirmait que le projet était lancé trop tôt, chaque pays devant, selon cette logique, d’abord créer son propre fonds national avant d’envisager un mécanisme commun à l’échelle continentale.
À mon sens, il s’agissait là d’un faux débat. Ce fonds global n’aurait nullement empêché la mise en place de fonds nationaux – ce n’était pas son rôle. Bien au contraire, il aurait permis de renforcer les capacités des cinéastes africains, d’accroître leur pouvoir de négociation, et de favoriser l’émergence de projets d’envergure, notamment dans le domaine du film historique ou transnational, avec une réelle valeur ajoutée sur le plan commercial.
Avec le temps, la tendance au désengagement des partenaires du cinéma francophone s’est quelque peu infléchie. Ce revirement fut notamment provoqué par la publication d’un rapport mettant en lumière le potentiel économique de l’espace francophone. Ce document incita les institutions de la Francophonie à renouveler leur soutien au cinéma africain, dans l’optique de faire de cet espace un véritable marché pour la cinématographie francophone.
C’est dans cette dynamique que l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), en partenariat avec l’Union européenne et le programme ACP-UE, lança quelques années plus tard le dispositif CLAP ACP-UE. Ce programme proposait un soutien financier renforcé à des projets venus d’Afrique subsaharienne, reconnaissant ainsi l’importance de soutenir une dynamique panafricaine de coopération dans le secteur cinématographique.
Ousmane Aby COLY (Journaliste) : L’OPAC, que vous avez fondé, se veut un outil de connaissance. Que nous apprennent aujourd’hui les données sur l’impact du cinéma africain sur nos sociétés ?
Souad Houssein : Encore en cours de construction, le projet de création de l’Observatoire panafricain de l’audiovisuel et du cinéma (OPAC) se veut une réponse concrète à toutes celles et ceux qui cherchent à situer, comprendre et mesurer l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel à l’échelle continentale, régionale et nationale. Ce projet repose sur la collecte et l’analyse rigoureuse des données.
Il s’agit d’une initiative nécessaire, que j’ai envisagée dès 2018, lors de mon invitation à Dakar à l’occasion de la dernière édition des RECIDAK. À cette occasion, j’avais souligné l’urgence de mettre en place un observatoire panafricain de l’audiovisuel et du cinéma, à l’image de l’Observatoire européen de l’audiovisuel.
Ce projet suscite un vif intérêt, notamment de la part d’organisations internationales telles que l’Union africaine, l’UNESCO et l’OIF. Il a d’ores et déjà trouvé son ancrage institutionnel en République de Djibouti, grâce à la validation du Ministère de la Jeunesse et de la Culture, consolidée par une convention de partenariat signée en 2024 entre l’OPAC et l’Agence nationale pour la promotion de la culture de Djibouti (ANPC).
Véritable instrument en devenir pour un développement culturel durable au service de l’industrie audiovisuelle et cinématographique africaine, l’OPAC avance à grands pas et se structure progressivement.
Désormais doté d’un siège officiel, l’Observatoire s’attèle à la mise en place de sa plateforme numérique, et entamera prochainement une phase active de recherche de financements et de partenariats.
Ousmane Aby COLY (Journaliste) : Quels leviers concrets faudrait-il activer pour que les cinémas africains deviennent plus autonomes, plus durables ?
Souad Houssein : Je vais être directe : l’autonomie du cinéma africain ne pourra venir que d’initiatives africaines, portées à l’échelle internationale, régionale et nationale. C’est une question de souveraineté. Il nous faut repenser en profondeur le modèle économique du cinéma, en osant penser par nous-mêmes, innover par nous-mêmes, agir à notre manière, avec nos moyens, sans aucun complexe.
C’est cette autonomie de pensée et d’action qui nous permettra d’exister durablement et de construire un cinéma réellement utile à nos populations – un cinéma qui ne se contente plus d’être célébré dans les festivals, mais qui s’ancre dans nos réalités.
Chaque pays doit comprendre qu’il existe une logique économique propre, en fonction de sa taille, de sa démographie, de ses ressources. Reproduire des modèles venus d’ailleurs est souvent inefficace, d’autant plus que les mutations technologiques bouleversent profondément la rentabilité du secteur culturel et obligent à tout réinventer.
Enfin, le salut de la production audiovisuelle repose sur un équilibre entre les films de prestige et les productions de proximité. C’est cette complémentarité qui permettra au secteur de se consolider et d’évoluer – comme c’est le cas dans tous les pays du monde. Il n’y a rien d’exceptionnel ou d’insurmontable pour le continent africain.
IV. Une stratégie d’influence internationale
Ousmane Aby COLY (Journaliste) : Vous avez tissé un réseau mondial, allant de Namur à New York. Comment parvenir à faire exister les récits africains sur ces scènes souvent saturées ?
Souad Houssein : Il est vrai que mon travail a consisté à élargir la zone géographique de promotion du cinéma africain francophone, qui se concentrait alors sur quelques festivals situés dans l’espace francophone (Namur, Montréal, Ouagadougou, Yaoundé, Cannes, Tunis). J’ai donc orienté mes efforts vers l’internationalisation de cette promotion, avec les moyens dont je disposais, en tentant de toucher d’autres aires géoculturelles comme les États-Unis, les pays du Golfe, l’Italie, l’Afrique du Sud, entre autres.
Ce plaidoyer n’est pas uniquement le fruit de mon action : il est venu en soutien aux démarches déjà entreprises par des cinéastes et des producteurs engagés dans la quête d’une reconnaissance internationale du cinéma africain. Ce travail est loin d’être achevé. Je suis convaincue que le cinéma africain a le potentiel de rayonner à travers le monde, à condition de valoriser pleinement l’immense richesse des récits et des expériences issus du continent.
Ousmane Aby COLY (Journaliste) : Quel rôle les festivals devraient-ils jouer selon vous : tremplins de visibilité ou lieux de réflexion politique sur nos images ?
Souad Houssein : Les festivals occupent une place essentielle dans le paysage culturel. Véritables vitrines de talents, ils sont aussi des lieux de rencontres professionnelles, des incubateurs de projets, des espaces de réflexion et des arènes de compétition. Ils offrent aux créateurs l’opportunité de valoriser leur travail, d’affirmer leur identité artistique et de gagner en visibilité, notamment à travers des prises de parole publiques.
Carrefours culturels par excellence, les festivals permettent de découvrir des œuvres récentes, de faire avancer des projets et d’explorer les grands enjeux des politiques culturelles. En favorisant l’échange, la diversité et l’émulation, ils contribuent à accompagner les cinéastes dans la construction de leur parcours.
Mais les festivals sont aussi des moments festifs et populaires, où se retrouvent professionnels, cinéphiles et grand public autour de films rares ou peu diffusés – à l’image du FESPACO ou des Journées cinématographiques de Carthage.
V. Une militante des langues, des femmes, des mémoires
Ousmane Aby COLY (Journaliste) : Vous défendez un cinéma enraciné dans les langues et les récits du continent. Pourquoi est-ce, selon vous, un enjeu fondamental ?
Souad Houssein : Je suis persuadée que le cinéma des pays africains doit s’ancrer davantage dans la richesse de la littérature et des récits du continent – une idée que j’ai souvent défendue. Pour à la fois divertir et éduquer notre jeunesse, il serait judicieux de valoriser notre patrimoine historique et littéraire. Nous savons que les grandes figures historiques, par exemple, captivent largement le public et peuvent ainsi garantir le succès commercial d’un film.
En France, ces dernières années, des œuvres comme Les Trois Mousquetaires ou Le Comte de Monte-Cristo ont été adaptées à plusieurs reprises à l’écran, suscitant toujours un fort engouement, toutes générations confondues. Cela montre qu’il y a une véritable richesse à puiser dans son propre héritage culturel – un modèle dont nous aurions tout intérêt à nous inspirer.
L’enjeu fondamental est simple : le cinéma doit à la fois éduquer et divertir, tout en assurant la vitalité de l’ensemble de la chaîne professionnelle.
Ousmane Aby COLY (Journaliste) : La place des femmes dans le cinéma africain reste encore marginale. Quels outils faudrait-il créer pour changer la donne durablement ?
Souad Houssein : À mon sens, les fonds nationaux et internationaux devraient accorder un bonus dans les critères de sélection des films lorsque le projet est porté par une réalisatrice ou une productrice. Il serait également pertinent d’instaurer des quotas de femmes à atteindre au sein des équipes de production. Une démarche similaire avait été mise en place par le passé pour favoriser les équipes majoritairement originaires du Sud, afin de garantir que les financements institutionnels bénéficient réellement aux pays concernés et aient un impact structurant sur leur développement.
Ousmane Aby COLY (Journaliste) : Travaillez-vous aujourd’hui à la création d’un projet lié à la mémoire historique ou littéraire du continent par le cinéma ?
Souad Houssein : J’aurais aimé m’y lancer, car c’est la raison principale de la création du Fonds Panafricain du Cinéma et de l’Audiovisuel (FPCA). J’attends les sollicitations – qui sait ?! Au Cameroun, un programme d’adaptation à l’écran de romans africains a été lancé par le réalisateur Jean-Pierre Bekolo, nommé Scripto Sensa, pour ne citer que celui-ci.
VI. Regards sur le cinéma africain d’aujourd’hui
Ousmane Aby COLY (Journaliste) : Comment qualifieriez-vous l’état actuel du cinéma africain francophone ? Parle-t-on encore d’émergence ou est-on entré dans une véritable renaissance ?
Souad Houssein : Le cinéma africain francophone connaît aujourd’hui des avancées significatives, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Les productions se multiplient, les compétences techniques s’affinent, et une nouvelle génération de professionnels dynamiques émerge. Cependant, ces progrès restent en partie freinés par une dépendance structurelle aux financements et aux circuits de validation venus du Nord, un héritage encore lourd du passé colonial. Cette situation limite l’autonomie des cinéastes et freine l’émergence de récits profondément ancrés dans les réalités locales.
Faire du cinéma en Afrique subsaharienne francophone relève souvent du défi, voire du combat. C’est un art exigeant qui mobilise rigueur, vision et créativité. Transformer un scénario en une œuvre vivante, portée par des équipes entières et souvent réalisée avec des budgets contraints, constitue un véritable exploit. Chaque film achevé tient presque du miracle humain.
Mais une question fondamentale demeure : souffrons-nous d’un excès d’aspirants cinéastes ou d’un déficit de financements accessibles et structurants ? Sans doute un peu des deux. Ce qui est certain, c’est qu’il devient urgent d’élargir nos horizons, de révéler des talents là où on ne les attend pas, et de diversifier les voix.
Si la production s’est enrichie en volume, qu’en est-il de la profondeur artistique ? Les films d’aujourd’hui sont-ils à la hauteur des grandes œuvres du passé ? Trop souvent, je ressens l’absence d’un regard singulier, d’une atmosphère marquante, d’un univers narratif propre. Un film ne se contente pas de raconter une histoire : il doit se faire ressentir, imprégner le spectateur. Cette capacité à créer une signature artistique reconnaissable, une “pâte” personnelle d’un film à l’autre, reste encore rare.
Enfin, un point souvent négligé mérite d’être souligné : le manque de reconnaissance envers celles et ceux qui incarnent les films – les actrices, les acteurs. Leur visibilité et leur valorisation restent trop faibles. Mieux les mettre en lumière permettrait non seulement de renforcer l’impact des œuvres, mais aussi de fidéliser le public.
Ousmane Aby COLY (Journaliste) : Le numérique change la donne, mais aussi les modèles économiques. Le continent est-il prêt à affronter cette mutation ?
Souad Houssein : Pour moi, le continent est prêt à affronter cette mutation technologique et numérique. Bien sûr, nous faisons avant tout cela : prendre le train technologique en marche et l’adapter à nos besoins !
Pour que le cinéma africain devienne une force culturelle incontournable à l’échelle mondiale, il faut ouvrir au plus vite des plateformes cinématographiques africaines. Cela permettra d’offrir un accès direct au grand public et de rentabiliser les investissements.
C’est une urgence ! D’autant plus que la question de la concurrence des salles de cinéma et du modèle économique qui en découle ne se pose pas réellement en Afrique subsaharienne francophone, compte tenu de la rareté des salles.
Ousmane Aby COLY (Journaliste) : Quels jeunes auteurs ou autrices vous semblent incarner l’avenir du cinéma africain ?
Souad Houssein : Il est très difficile de répondre à cette question. Émettre des jugements individualisés sur des réalisateurs ou des comédiens serait risqué, compte tenu des conditions difficiles dans lesquelles ils évoluent. Par ailleurs, nous assistons actuellement à un profond renouvellement des professionnels du cinéma africain. Une nouvelle génération de réalisateurs, de producteurs et d’acteurs émerge, qui semble affranchie de certaines contraintes pesant sur leurs aînés. Les nouvelles technologies leur offrent la possibilité d’innover et de surmonter certains obstacles. S’ils parviennent à puiser dans l’immense réservoir de leur histoire, de leur culture et de leur langue, ils pourraient transformer non seulement le cinéma africain, mais le cinéma dans son ensemble.
VII. Perspectives et ambitions personnelles
Ousmane Aby COLY (Journaliste) : Après plus de deux décennies d’engagement, quelles sont aujourd’hui vos priorités personnelles et professionnelles ?
Souad Houssein : Sur les plans personnel et professionnel, mes priorités convergent : grandir, évoluer au sein d’une famille, et donner le meilleur de moi-même.
Sur le plan personnel, ma priorité est de rester proche des miens et d’apporter mon soutien à ceux qui en ont besoin. De manière générale, je souhaite être utile autant que possible.
Sur le plan professionnel, mon objectif est de contribuer, de près ou de loin, à honorer ma terre mère, l’Afrique. Je veux travailler avec enthousiasme pour ce continent, dans un esprit de fraternité, afin de construire une vie équilibrée, profondément ancrée dans mon africanité. Je ne saurais vraiment expliquer pourquoi ce besoin résonne en moi avec une telle intensité.
Ousmane Aby COLY (Journaliste) : Imaginez-vous un jour passer de l’ombre à la lumière et produire ou réaliser vous-même un film ?
Souad Houssein : J’ai des idées obsédantes de réalisation, mais j’ai aussi des priorités. Aurai-je le temps de concrétiser ce qui me tient à cœur ? Nul ne sait… On espère !
VIII. Une dernière note
Ousmane Aby COLY (Journaliste) : Si vous deviez résumer en une phrase votre combat pour le cinéma africain, quelle serait-elle ?
Souad Houssein : Autonomiser, émanciper et diversifier le cinéma africain afin qu’il réponde non seulement aux attentes du public africain, mais aussi qu’il révèle au monde les richesses culturelles de l’Afrique, continent berceau de l’humanité et peut-être avenir de celle-ci !
Question Express – Une série de questions rapides pour une réponse spontanée
Un acteur ou une actrice qui vous inspire ?J’ai deux personnages africains ou Afrodescendant qui m’ont profondément inspirée : Mohamed Ali et Ousmane Sembène. Ces figures à la fois intransigeantes et inspirantes ont, chacune dans leur domaine, offert à chaque Africain ou Afrodescendant des raisons puissantes de s’affirmer haut et fort. Pour cela, je leur en suis profondément reconnaissante.
Une difficulté qui vous a forgée ? Bien qu’ayant été une source de complexes au début de ma carrière, je dois reconnaître que le fait de ne pas avoir étudié le cinéma a finalement contribué à me forger. Ce côté autodidacte s’est révélé être un véritable moteur, car il m’a poussé à repousser mes limites.
Un rêve encore à accomplir ? Le rêve à accomplir, c’est de contribuer, avec d’autres, à hisser le cinéma africain au plus haut niveau, en œuvrant à la fois pour son autonomie, son internationalisation et son ancrage local, à travers diverses initiatives.
Une phrase qui vous motive au quotidien ? Qui ne tente rien n’obtient rien !
Ousmane Aby COLY (Journaliste) : Merci beaucoup Souad pour cet échange inspirant. À travers vos mots, vos combats et votre vision du cinéma, vous nous rappelez que l’art peut être un levier puissant de conscience et de transformation sociale. Cinéma Sénégalais Sikanam vous remercie pour votre générosité et vous souhaite de continuer à éclairer les écrans comme les esprits, avec la même force, la même foi, et cette inaltérable dignité qui vous habite.
Souad Houssein : Je vous remercie pour cet échange si enrichissant. Ce fut un vrai bonheur de partager avec Cinéma Sénégalais Sikanam.
Ousmane Aby COLY
Revue "Hors Champ" Cinéma Sénégalais Sikanam

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